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Homme des pavés.

 

 

     Visage sans trait, aux yeux prolongeant le vide de tes espérances, tu t’habilles du gris des pavés, du noir de la terre souillée; je traverse les pays, les hémisphères, les cultures socio-économiques et à chaque fois je crois t’apercevoir du coin de l’oeil, appuyé contre un mur, juste sous le panneau d’une rue où tu n’as pas d’adresse ; il n’y a que la langue qui change.

     Tu es là et pourtant je ne te vois pas, comme je ne te voyais pas lorsque tu habitais en bas de chez moi.

     La main tendue puis, plus tard dans ton existence, quand tu n’as même plus la force de l’interaction, tu la ranges bien au chaud, remplacée par quelques mots à l’orthographe aussi approximative que tes espérances, sur un vieux morceau de carton aussi solide que les murs de ta maison. Je te reconnais pourtant, tu fais partie du décor, juste au pied d’une tour multinationale, d’une ambassade dictatrice ou d’un Mac Do.

     Je sais que je t’ai déjà vu, n’avais-tu pas un chien ? Un bébé ? N’étais-tu pas une femme ? Un vieillard ? Ou non, un jeune je crois, peut-être même un gamin ; n’avais-tu pas une jambe de bois « anti-personnelle » ou bien étais-tu juste victime d’une liquidation de personnel dans la guerre du profit de deux ou trois hommes tristes ? Non, je ne me rappelle plus, et puis j’oublie vite.

     Je change de trottoir, j’accélère le pas de l’homme pressé, j’admire l’architecture de je ne sais quoi : je me préoccupe des choses importantes, les yeux dans le vide égoïste, de ma propre vie. Et, je me dis « quelle honte, il n’a pas d’estime, pourquoi ne travaille-t-il pas ? ».

     Alors, je retrouve le sourire parce que je suis rassuré de mes sacrifices, je vois mon appart au son suround, mon canapé 16/9e, mon VTT 16 soupapes, vitres électriques que je n’utilise jamais…

     Tout à coup la réalité de ma vie s’évapore pour quelques instants avec le stress, la fatigue et la monotonie qui l’accompagnent.

     Je ne me souviens alors même plus pourquoi je pense à tout cela, alors je presse mon pas d’homme occupé, puis, je m’arrête pour fumer une clope. Et là, surgi de nulle part, peut-être que je ne l’ai pas vu venir dans ses habits de camouflage urbain, l’homme sans visage aux yeux vides est juste devant moi ; je ne peux détourner le regard, tu as grandi d’un mètre et d’une voix pas très sûre de ne plus parler ou plutôt sans être sûr d’avoir un interlocuteur, tu me demandes une cigarette ; je fouille mes poches ne sachant que faire, et j’y trouve un peu de tabac « juste de quoi en rouler deux – trois » lui dis-je en lui tendant. Son visage prit forme sous l’impulsion d’un sourire, ses yeux parlèrent le langage de la gratitude, quelques instants, avant de se refermer tout en perdant un mètre.

      Je réalise peut-être que de notre monde il n’en veut pas, qu’il n’a sûrement pas d’autres choix que de ne plus exister.

 

Mickey ParSi(s)Parla

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